Comme annoncé, voici un post détaillé de mon avis sur ce qu'il s'est passé au Canada, mais aussi sur ce que je pense des problèmes plus généraux qui y sont liés.
Concernant l’attitude de Vettel, je l’ai trouvé très bonne. Il a su avoir des mots et des gestes avec une symbolique forte, voire très forte, sans tomber dans un excès critiquable (comme il a pu le faire par le passé). Ses propos à la radio et ensuite au micro, à chaud, ont été très clairs, avec les critiques au bon endroit et la forme qu’il faut.
Par rapport à Lewis, je suis un peu plus mitigé dans une attitude qui peut sembler maladroite, mais je pense qu’il l’a vraiment été parce que c’est une situation très étrange, peu agréable surtout dans sa position. Donc qu’il ait pu paraître maladroit, gauche, n’a rien d’étonnant ni de bien grave. Le message à la radio m’a plus dérangé sur le principe, mais les pilotes actuels sont formatés à cela à cause du règlement (j’y reviendrai), donc ce serait déplacé de jeter la pierre à Lewis sur ce point.
Maintenant je vais donner mon avis sur l’incident en lui-même, basé en grande partie sur les onboards mais que j’avais déjà juste après l’incident. Pour une raison X, Vettel part en survirage et doit couper par l’herbe. Ce faisant, en réussissant à garder sa voiture assez droite et en prenant la trajectoire la plus courte possible pour revenir le plus vite sur l’asphalte, il se voit obligé de passer par-dessus le vibreur (la différence de hauteur entre herbe et vibreur est vraiment notable quand on est sur place, d’autant que la partie d’herbe est en descente). Ce qui occasionne un contre-braquage obligé à cause du saut et délicat à cause des pneus salis par l’herbe et la poussière. A la fin de cette manœuvre, on peut considérer qu’il retrouve un minimum de grip et de contrôle. Il se trouve alors au milieu de la piste, mais la voiture orientée vers la droite et le mur en sortie du virage, dans un angle d’environ 15° par rapport à l’axe de la piste. Je pense que jusqu’ici, tout le monde sera d’accord pour dire qu’il ne pouvait faire vraiment mieux, mais je tiens à insister sur l’état d’esprit de Vettel à ce moment : son but premier est bien sûr de rejoindre la piste sans perdre trop de temps, mais surtout de ne pas partir en tête-à-queue ainsi que de ne pas s’accrocher avec Lewis, qu’il sait proche sans savoir exactement où.
Ensuite, à partir de ce moment où l’on peut supposer qu’il a un début de contrôle, il commence à remettre le volant droit pour reprendre la trajectoire. Pas la trajectoire de course, qui consiste à mettre la moitié de la voiture sur le vibreur, mais la trajectoire qui va l’amener vers les virages suivants compte tenu de la position de sa voiture à cet instant (milieu de piste, 15° vers la droite). DANS LE MÊME TEMPS, il regarde dans son rétroviseur pour savoir où se trouve Lewis, chose qu’il n’a pu faire jusqu’à présent puisqu’occupé à contrôler sa monoplace dans l’herbe puis le déséquilibre provoqué par le vibreur. (De plus, il n’aurait probablement rien vu dans son rétro avant, au vu de l’angle, et ne pouvait certainement pas tourner la tête.) Il voit ainsi Lewis très près mais pas à hauteur, c’est pourquoi il ne tourne pas le volant à gauche pour laisser de l’espace, puisqu’il est entièrement devant. Fait important : à aucun moment il ne donne de coup de volant à droite une fois qu’il a retrouvé le contrôle. Pendant toute cette période, il a retrouvé un certain contrôle de sa monoplace, mais je ne vois rien de répréhensible dans ses actions.
Enfin, j’aimerais souligner une chose qui a, il me semble, rarement été évoqué : il revient sur la piste avec un sous-régime important. Il a logiquement conservé une vitesse assez haute dans son passage dans l’herbe pour garder du contrôle avec le frein moteur (au son de l’onboard il semble passer en cinquième, ou peut-être quatrième), et en revenant sur la piste il se retrouve en sous-régime. Ce qui contribue à une réactivité moteur assez faible, d’autant plus qu’avec les pneus sales et un retour de grip précaire il était risqué de procéder à un rétrogradage rapide. Tout comme il était risqué d’essayer de pivoter plus rapidement à gauche pour laisser plus de place lors du retour en piste.
De son côté Lewis fait de son mieux pour profiter de cette erreur. Il tente de prendre de la vitesse et déborder par l’extérieur, ce qui est à la fois logique mais très optimiste puisqu’il peut se douter que Vettel va revenir quelque peu en perdition sur la piste, et donc probablement se retrouver déporté sur l’extérieur. Choisir de « décroiser » pour passer à l’intérieur aurait sûrement mieux fonctionné ; quoiqu’il en soit c’est un choix, tout comme il aurait pu se dire « Punaise il va revenir sur la piste de travers, je ralentis ». Dès lors, au vu de son choix, il a tenté au maximum avant de se résoudre à freiner.
C’est pourquoi je ne mettrais pas de pénalité. Et même pas d’enquête. Car dans ces circonstances, Vettel a fait de son mieux pour laisser le maximum d’espace à Lewis sans tenter de partir en cacahuète. Et les circonstances sont à mon avis primordiales à prendre en considération. Il ne s’agit pas d’une situation de dépassement normale, mais d’une situation où une voiture se retrouve à revenir du mieux qu’elle peut en piste. Et également, je ne considère pas cela comme une action dangereuse. Auraient-ils pu se toucher ? Oui. Était-ce dangereux ? Non, au contraire des mouvements de Ricciardo si on veut aller sur ce terrain de la comparaison.
Toutefois cet incident et la pénalité qui s’en est ensuivie ne fait que mettre en lumière un problème bien plus profond, le règlement. Un règlement sportif qui va à l’encontre de l’esprit même de course automobile. Un règlement qui contient une règle comme quoi il faut laisser de l’espace. Alors que le but du sport auto est bien de faire en sorte que le concurrent derrière n’ait pas assez d’espace pour dépasser, il me semble. Bien sûr, si un dépassement est entamé il ne faut pas aller réduire l’espace nécessaire à la voiture dépassant, mais un dépassement est entamé à condition que la voiture dépassant soit plus ou moins à hauteur de la voiture dépassée. Un bout d’aileron à hauteur des roues arrière, et même les roues avant à hauteur des roues arrière voire du ponton (en fonction des situations) n’équivaut pas au fait d’être à hauteur, et encore moins d’avoir la priorité sur la voiture dépassée. La voiture de devant garde toujours l’avantage dans ces situations, et c’est au pilote de derrière d’être vigilant en cas de freinage, de déplacement de la voiture adverse. Car il voit la voiture de façon directe, ce qui n’est pas le cas de son adversaire tant que la voiture n’est pas à hauteur.
Mais surtout, le règlement sportif a subi une dérive importante ces dernières années et due à plusieurs facteurs.
- L’action Road Safety de la FIA qui s’est immiscée dans l’aspect sportif de la F1 au lieu de rester à sa place, c’est-à-dire la sécurité routière pour tous les usagers des routes ouvertes internationales, d’un côté avec le permis à point, de l’autre en diabolisant le moindre contact et les batailles rudes.
- La présence du DRS qui a amené des situations de course nouvelles. Je sais que je peux être saoulant à évoquer le DRS très souvent, mais il me semble important d’insister sur les effets néfastes de ce système. Avec un tel différentiel de vitesse, on s’est retrouvé à avoir énormément de dépassement en pleine accélération au milieu des lignes droites, plutôt qu’à la zone de freinage ou dans les virages. Et les mouvements de défense, qui sont tout à fait acceptables dans ces zones de basse vitesse, sont devenus dangereux du fait de ce différentiel de vitesse énorme au moment du dépassement. A l’époque de la seule aspiration, les batailles roues contre roues en ligne droite se faisaient à la même vitesse et à la même hauteur (Mansell et Senna, Espagne 1991, pour citer l’exemple le plus évident). Avec le DRS plus rien de tout ça, et donc in fine des règlements quelque peu aberrants concernant l’espace laissé et le nombre de changements de ligne. Ce système a donc rendu les dépassements artificiels, et contribué à rendre les règlements ce qu’ils sont actuellement, c’est-à-dire en partie inadaptés à ce que doit être du sport auto. Le DRS a donc doublement mis à mal l’aspect « sportif » de la F1 (et même plus par d’autres effets, mais ce n’est pas le sujet ici).
- D’autres problématiques, entre les pilotes qui se plaignent trop d’un moindre contact, ceux qui ont fait des mouvements trop dangereux à un moment et qui sont devenus plus courants faute de sanction appropriée d’entrée de jeu, les sponsors veillant à leur image et donc refusant les contacts et accrochages et faisant pression en ce sens, etc etc.
Quid du « retour en piste de manière non sûre » ? Déjà comme dit précédemment je ne trouve pas cette action dangereuse. Les unsafe release dans la pitlane sont une sanction tout à fait normale et cohérente avec la présence de personnel dans les stands. Les batailles directes ne doivent pas s’y dérouler. Concernant les actions en piste, cette sanction devrait être étudiée en cas d’un pilote sortant de la piste et y revenant pied au plancher en ayant conscience de la présence d’autres voitures proches de lui. Ça, ce serait dangereux et inconscient, et donc un comportement à pénaliser.
Autre chose qui revient régulièrement dans les commentaires : puisque Vettel a fait une erreur, il est normal que Lewis hérite de sa position. Je suis extrêmement partisan d’avoir des circuits qui pénalisent les erreurs, à l’inverse des dégagements asphaltés d’ampleur que l’on a ces derniers temps. Et une erreur qui amène à perdre suffisamment de temps pour que le concurrent derrière en profite est intrinsèque à la logique de la course automobile. Toutefois, au contraire, si une erreur est produite mais bien rattrapée de façon à rester devant son adversaire de façon correcte, alors là aussi c’est parfaitement logique ! Même si le pilote derrière doit freiner. Quelle est cette nouvelle sacro-sainte règle depuis plusieurs années qui stipulerait que le pilote derrière doit avoir toute la latitude pour accélérer à fond et que, s’il ne le peut, c’est de la faute du pilote de devant ?? Un pilote peut bien suivre de très près un autre, mais il doit être prêt à être déventé, à être surpris par une trajectoire ou une autre, à devoir freiner en cas d’erreur du pilote de devant. C’est tout à fait normal. Le final épique de Dijon 1982 est souvent revenu dans les commentaires, et c’est ce genre de moments qui doivent vraiment définir ce qu’est la course automobile. Par ailleurs, les propos de Bourdais sur l’évènement de dimanche sont intéressants et, à mon avis, pertinents : « Il y a un moment où il faut que ça s’arrête. À la limite, avant qu’il dise quoi que ce soit, je lui aurais mis un warning, et ça s’arrête là. Si tu lui mets un warning, tu lui dis que la prochaine fois il faut faire attention car il pourrait y avoir quelqu’un à côté. »
Ressort également le problème de l’interprétation dans les décisions critiquées ces dernières années. S’il y a une part du problème de l’inconstance qui est fortement liée au roulement des commissaires de course, je pense qu’il faut plutôt s’interroger sur quoi porte l’interprétation. Le jugement de personnes compétentes me semble important, mais il faut que ce soit sur les bonnes questions. Or, avec les règlements actuels, les commissaires sont appelés à juger des situations de course normales et à devoir définir un coupable pour des incidents qui ne sont, au fond, qu’inhérents au sport et donc devraient faire partie intégrante du sport et du spectacle. Car depuis des années il y a cette question de savoir comment faire du bon spectacle, amenant à d’autres réponses aberrantes dont le DRS, mais laissez simplement les pilotes faire la course. Simplement la vraie course. On a voulu augmenter le spectacle par le DRS, les pneus à dégradation rapide, mais tout cela n’a fait que fausser la course. Un sport spectaculaire est fantastique, mais un spectacle sans l’aspect sportif n’est qu’une coquille vide. Prenons l’exemple du football, où là aussi il y a de nombreuses controverses et discussions : au foot, l’interprétation se fait (très majoritairement) sur l’intentionnalité et la dangerosité du geste. Un excès d’engagement est réprimandé puis sanctionné, mais les contacts qui sont à la base du sport restent autorisés. Il y a des fois des erreurs d’arbitrage, des fois des situations litigieuses, mais l’esprit général de la façon dont l’arbitrage est fait est bon. Pour continuer sur les propos de Bourdais : « Il y a un moment où c’est de la course, il n’y a personne qui ne se doit rien sur la piste, et ce n’est pas parce qu’il y a un demi-contact ou un possible contact qu’il faut toujours mettre une pénalité en face. » Le règlement sportif et ceux qui l’appliquent devraient être au service du sport, or on a l’impression qu’ils se situent au-dessus de lui en F1.
Au final, ce que j’espère le plus de tout cela, c’est que les paroles et les gestes de Vettel, et surtout le tollé qui s’en est ensuivi et notamment partagé par des personnalités importantes, vont contribuer à créer une réelle remise en question sur ces problématiques. Malheureusement le premier retour de Ross Brawn ne semble pas aller en ce sens. Mais quand Vettel dit « ce n’est plus le sport dont je suis tombé amoureux », combien sommes-nous à nous être fait une réflexion similaire ces dernières années ? Sur l'ancien forum ces discussions étaient légions, et nous en avons encore ici. Alors espérons qu’il y ait une remise à plat du règlement sportif ayant trait aux situations de course, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons retrouver ce que nous aspirons tous à voir, peu importe le nombre de dépassements ou l’issue finale des Grand Prix : de la vraie course automobile.
(Oui il s'agit peu ou prou du même texte mis en commentaire à la vidéo de Roue Libre sur le Grand Prix du Canada, car c'est leur discussion qui m'a amené ce raisonnement, mais ça me semblait intéressant de le partager ici.)